Télétravail : pas d’arrêt sans l’accord du salarié
Dans un arrêt du 7 décembre 2021, la cour d’appel d’Orléans répond à la question de savoir si, en l’absence de formalisation de l’accord des parties sur la mise en place du télétravail, un employeur peut imposer à un salarié en télétravail depuis plusieurs années de revenir travailler dans les locaux de l’entreprise deux jours par semaine.
Rappel : comment le télétravail peut-il être mis en place ?
Le télétravail peut être mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. En l’absence d’accord collectif ou de charte, le salarié et l’employeur peuvent convenir de recourir au télétravail en formalisant leur accord par tout moyen.
Le cas présenté
Un commercial qui ne se rend que très occasionnellement au siège de son entreprise depuis 2009, reçoit en juin 2017 un courrier de son employeur lui demandant notamment d’être présent dans les locaux de l’entreprise deux jours complets par semaine, les lundis et mardis. Placé en arrêt maladie pour dépression et estimant que ce changement ne peut pas se faire sans son accord, il saisit quelques mois après la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur avant d’être licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en 2019.
Débouté de sa demande par le conseil de prud’hommes, il interjette appel de son jugement, faisant valoir qu’alors qu’il se rend habituellement deux fois par an seulement au siège de l’entreprise depuis 2009 et qu’il ne réside pas dans le même département que celui-ci, son employeur lui a brusquement demandé d’y passer deux jours par semaine, et notamment le lundi, ce qui l’oblige à voyager le dimanche.
En outre, si aucun accord sur la mise en place du télétravail n’a été formalisé entre les parties, il peut s’agir d’un accord verbal, comme le permet le Code du travail, et son employeur ne peut pas décider d’une telle modification sans son accord. Il doit, si elle s’impose pour des raisons économiques, mettre en œuvre la procédure de modification de son contrat de travail.
Pour sa part, la société fait valoir qu’aucun télétravail n’a été mis en place par l’employeur, de sorte que la réglementation afférente ne trouve pas à s’appliquer. Pour elle, il ne s’agit en rien d’exécuter à domicile un travail qui aurait pu être accompli dans les locaux de l’employeur et nécessitant l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. La présence régulière du salarié dans l’entreprise est nécessaire pour permettre les échanges indispensables, la même organisation étant prévue pour l’ensemble de l’équipe commerciale.
La décision rendue en cour d’appel
Ne partageant pas cette dernière analyse, la cour d’appel d’Orléans infirme le jugement du conseil de prud’hommes et fait droit à la demande du salarié en résiliation judiciaire de son contrat de travail. Tout d’abord, elle constate que :
- le contrat de travail signé entre les parties ne prévoit aucun lieu précis d’exécution du contrat de travail ;
- mais que le salarié est chargé de représenter la société notamment en France et en Europe ;
- et qu’aucun élément ne permet d’établir que l’entreprise lui a confié, comme le contrat en prévoyait la possibilité, un secteur géographique particulier.
Par ailleurs, depuis 2009, le salarié ne se rendait que très rarement au siège de l’entreprise, effectuant ses démarches commerciales chez les clients et communiquant avec son employeur à distance, sans qu’aucune explication ne semble lui avoir été demandée sur ce point. L’employeur a par conséquent accepté pendant plusieurs années ce mode d’organisation du travail, et le salarié a pu établir son domicile fort loin du siège de l’entreprise.
Dès lors la société a modifié un élément essentiel du contrat de travail en lui imposant d’être présent au siège de l’entreprise deux jours par semaine, les lundis et mardi. Cette modification du lieu d’exécution de la prestation de travail était de nature à bouleverser non seulement l’organisation professionnelle du salarié mais également ses conditions de vie personnelle puisqu’elle le contraignait à dormir à l’hôtel deux nuits par semaine et à voyager le dimanche. Cette modification du contrat de travail ne pouvait pas être unilatéralement décidée par l’employeur et le salarié était en droit de la refuser. Elle avait en outre manifestement participé à la détérioration de l’état psychique de ce dernier.
Dans ces conditions, la poursuite du contrat de travail s’est avérée impossible dans les conditions nouvellement imposées par l’employeur, sur lesquelles celui-ci n’est nullement revenu avant la rupture du contrat de travail, et malgré les protestations du salarié. Ce manquement justifie à lui seul, pour la cour d’appel, la résiliation judiciaire du contrat de travail qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du licenciement pour inaptitude.
Quelques précisions
Cette solution va dans le sens d’une jurisprudence de la Cour de cassation : lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie du travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut pas modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié, même en présence d’une clause de mobilité. On relèvera toutefois que la solution pourrait être différente en cas de mise en place du télétravail par accord collectif ou charte. Cet accord ou cette charte doit prévoir les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail. Le texte pourrait ainsi prévoir les conditions permettant à l’employeur de mettre fin au télétravail. De même, en l’absence d’accord ou de charte, l’employeur et le salarié pourraient prévoir, à l’occasion de la formalisation de leur accord de mettre en place le télétravail, les conditions de retour à une exécution du contrat sans télétravail.
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